Kiki en froid avec la justice (10ème épisode)
EN FROID AVEC LA JUSTICE
En février 1925, Kiki, Per et Treize vont à Villefranche et descendent à l’hôtel Welcome,
que Cocteau a rendu célèbre.
Carte montrant l’Hôtel Welcome où Kiki, Per et Treize firent plusieurs séjours.
Cocteau a baptisé sa barque « Heurtebise », du nom de l’ange qui le hantera longtemps.
Du balcon de l’hôtel Welcome, Kiki dominait le port de Villefranche.
A Villefranche, les bâtiments militaires étrangers font relâche et le port est envahi par
les marins américains du Pittsburgh.
La ville est également remplie de prostituées qui suivent les marins de port en port.
Femmes attendant les Américains, par Per Krogh.
Une prostituée et des marins devant un meublé.
Un matelot et une prostituée, peint par Kiki
Au bar du Welcome, au rez-de-chaussée de l’hôtel, on peut danser
jusqu’à une heure avancée au son d’un petit orchestre :
Un accordéoniste bigleux, un pianiste et un banjo.
Les marins sont amis avec Kiki :
« Nous en avons adopté cinq ou six, que nous ne quittons plus. »
Kiki s’est dessinée au bar du Welcome.
Les problèmes commencent lorsque Kiki est seule :
« Je vais retrouver des matelots amis dans un bar anglais où nous n’allons jamais.
J’avais à peine ouvert la porte que le patron me crie du comptoir :
« Pas de putain ici ! »
Je me précipite sur lui et lui lance une pile de soucoupes sur la figure ».
Une bagarre s’ensuit, mais Kiki se retire avant l’arrivée de la police.
Le lendemain matin, le patron du Sprintz Bar avant déposé plainte.
Un commissaire, escorté d’un gendarme à la figure toute rouge, se présente à l’hôtel
et lui demande de l’accompagner
Comme elle ne le suit pas assez vite, il la bouscule et, sans réfléchir,
Kiki le frappe avec son sac à main.
« Ton compte est bon ! braille-t-il aussitôt. Coups et blessures à la magistrature »
Kiki est transférée à la prison de Nice.
Le 5 avril, Le Petit Niçois signale son arrestation (au Sprintz Bar) en termes insultants. Elle est « une fille aux moeurs légères, Alice Prin, âgée de trente deux ans, [sic] née à Paris […]. »
Lorsque Man Ray apprend les ennuis de Kiki, il en parle à Treize et, aussitôt,
ils battent le rappel auprès de leurs amis.
Desnos prend contact avec Georges Malkine, qui va voir Bonifacio, l’avocat désigné d’office de Kiki.
« Bonifacio, apprend-il, ne croit pas un mot de ce que Kiki raconte. »
Pour lui, c’est une prostituée parisienne qui cherche des histoires.
Muni d’une lettre de son patron, directeur de la plus grande entreprise de ramassage d’ordures de Nice,
Malkine obtient de l’avocat qu’il aide Kiki.
La charge la plus lourde étant d’avoir frappé le commissaire. Me Bonifacio, qui le connaît bien, va le voir personnellement et obtient de lui une « déposition bénigne ».
(Malkine écrivit une lettre à Desnos le 11 avril 1925.
Portant comme en-tête « Affaire Kiki », elle précise que l’argument suprême qui a convaincu Bonitacio que Kiki valait la peine d’être correctement défendue a été la déposition écrire du patron de Malkine (dictée par ce dernier).
Prenant position en faveur de Kiki, elle devait être lue au procès….)
En raison des fêtes de Pâques, Kiki passa une bonne dizaine de jours derrière les barreaux et Malkine ne put
que regretter qu’on ne l’ait pas informé plus tôt de sa situation,
car il aurait pu la faire libérer sous caution.
Man Ray se précipite à Nice avec un certificat médical du docteur Fraenkel qui affirme que
Kiki a les nerfs malades, et des dépositions de Desnos et d’Aragon présentant
Kiki comme une artiste.
(Le 13 Avril 1925, Malkine écrivait une autre lettre à Desnos :
« Le certificat de F[raenkel] a été une très bonne chose […].
Pour le reste, je ne sais absolument pas si tes démarches ou celles d’Aragon ont servi.
Il se peut que le juge ait été touché directement. En tout cas, il pouvait acquitter […].
Man Ray se figure que Bonifacio a manqué de brio.
La vérité est qu’intentionnellement, il a donné le moins de développement possible à la chose, et ceci en considération
du juge de la correctionnelle, Niel, qui dose les peines exactement en fonction de la durée du débat. »)
Kiki a représenté la cour à son procès.
Georges Malkine a adressé de Nice un câble à Robert Desnos, à Paris, le 15 Avril 1925
pour annoncer l’heureuse issue de l’aventure.
Le 16 avril, le même journal commente :
« Mlle Alice Prin, une charmante brunette de vingt-deux printemps […] exprime un vif regret de son acte inconsidéré et […] Me Bonifacio prononce en sa faveur une fort habile plaidoirie,
grâce à laquelle Mlle Prin n’a encouru que deux mois de prison avec
bénéfice de la loi de sursis. »
Malheureusement, Kiki ne fut pas acquittée comme Malkine l’espérait, mais elle fut libérée.
D’après Treize, elle et Man Ray étaient les seuls à savoir que son sursis comportait
une période de liberté surveillée de un à trois ans.
Elle en informa Kiki, qui pouvait devenir enragée quand elle était en colère :
pendant quelque temps, il faudrait qu’elle fasse attention.
« Dès l’instant où Kiki faisait une bêtise, je lui soufflais à l’oreille :
« Sursis » pour qu’elle se calme »
Les textes sont entèrement inspirés de Billy Klüver & Julie Martin & Kiki de Montparnasse.