Kiki travaille … (2ème épisode)

 

…Mais dès que la fillette a treize ans, elle quitte l’école pour “rentrer comme apprentie-brocheuse”, à cinquante centimes par semaine….
Kiki racontera dans ses mémoires, qu’on lui confia son premier travail intéressant :
Relier le Kama-sutra.
Les belles images inspirent à ses
“entre-cuisses des mouvements d’oiseau qui n’arrive pas à s’envoler”
Mais elles rendent la réalité amoureuse bien fade en comparaison,
( d’autant qu’une anomalie physiologique la prive longtemps de son dépucelage…)

Marie Prin (sa mère) habitait donc
un rez-de-chaussée sur cour au 12 rue Dulac.
L’immeuble appartenait aux éditions Calmann Lévy,
Cette maison d’édition pour laquelle Marie était linotypiste.
Elle avait pour amant, Gaston, son chef d’atelier. 
La mère de Kiki rêvait d’une vie stable et aspirait la respectabilité.
Elle travaillait régulièrement, mais les salaires féminins étaient si faibles qu’elle
ne pouvait échapper à la pauvreté.
En 1910, le salaire moyen des hommes était de 7,78 francs par journée de 10 heures.
Peu avant la guerre, celui des femmes était de 2,25 francs
Même avec leurs deux salaires,
Kiki
raconte qu’ elles avaient tout juste du quoi joindre les deux bouts.


Au début de 1916, Marie ramène chez elle un soldat blessé, Noël Delecoeuillerie.
De onze ans son cadet, elle l’épouse en janvier 1918.
Elle place Kiki « bonne chez une boulangère, nourrie, blanchie ».boulangerie-2
Une boulangerie, identique à celle où Kiki travaillait.

Voici comment Kiki décrit sa journée :
“Le matin, debout à cinq heures pour servir des un sou ou deux sous de pain
Aux ouvriers qui vont au travail.
A sept heures, porter le pain aux bourgeois, monter les escaliers, les redescendre…
Rentrer à 9 heures faire le ménage, les courses, et ce n’est pas fini :
Aller dans un grand placard à farine, agiter une grande tringle de fer pour faire
descendre la farine jusqu’au tamis.
Je sors de là blanche comme une souris.
Et puis aider le mitron à sortir le pain du four.
Ce mitron se mettait nu et faisait des …facéties. Faire la cuisine…”

Après avoir trimé pendant des mois, sans relâche, du matin au soir,

Kiki se révolte et s’en va !…“Le lendemain […] j’ai rencontré un vieux sculpteur qui […] m’a fait poser chez lui […]. Mais des gens ont dit à ma mère que sa fille se mettait nue chez des hommes.
Ma mère est entrée de force chez le sculpteur […].
Elle a crié que je n’étais plus sa fille,
que j’étais une ignoble p… “

Avant la guerre, les modèles étaient principalement italiens,
car poser nu n’était pas une profession respectable aux yeux des Français.
“Ça me faisait quelque chose de me mettre nue, mais puisqu’il le faut !”

raconte Kiki dans ses Mémoires.
Les prostituées se considéraient souvent comme supérieures aux modèles.
Après la guerre, il y aura un changement radical.

A seize ans à peine, Kiki est donc à la rue.
Elle a deux idées en tête : la lutte pour la vie et découvrir l’amour.
Elle essaie d’abord avec un vieux clown, qui se contente de lui donner la sérénade,
Puis elle accompagne Robert, un artiste, dans son atelier.
Comme elle ne trouve pas de travail, Robert la bat et l’envoie sur le boulevard
“en disant qu’il y a de beaux soldats américains”.
Kiki refuse de faire le trottoir, mais un jour, terrifiée de rentrer sans argent,
elle montre ses seins à un vieux monsieur derrière la gare Montparnasse.
Il lui donne trois francs.

La plupart des jeunes filles issues du même milieu socio-économique que Kiki
finissaient sur le trottoir. Il fallait la vitalité de Kiki pour y échapper.

La faim et un goût certain pour l’art lui faisaient dire :
“Poète, peintre ou théâtreux. En dehors de ces trois professions,
je n’admettais aucun autre mortel”.
Devenir modèle était l’unique alternative à l’atelier ou au métier de “boniche”
pour une jeune fille pauvre et déracinée. 
Kiki rencontre d’autres artistes à la Rotonde.
Mais, comme elle n’a pas de chapeau, Libion lui refuse l’accès à la salle du fond. 
“J’en suis malade, de ne pas avoir le droit d’aller dans la salle, confiera Kiki plus tard. La première des raisons, c’est que les w-c. se trouvent tout au fond […]. Toutes les grandes, dames du quartier [s’y trouvent]. J’ai envie de les voir de près, car elles ont toutes une légende dont je suis jalouse. Elles ont déjà eu toutes une vie extraordinaire. Aïcha […], le modèle très demandé; Mireille, une très jolie danseuse ; Silvia, une belle fille plantureuse, qui partit un jour en vacances […] et qu’on ne revit jamais à Montparnasse ; Germaine, belle danseuse aux yeux de braise ; Pâquerette, Mado.”


Elle se déniche un couvre-chef
“…Tout en sachant qu’il était comique, il ne me gênait pas du tout. Pour avoir mes entrées à la Rotonde, j’aurais été capable de marcher sur la tête […]. J’avais trouvé mon vrai milieu ! Les peintres m’avaient adoptée. Finies les tristesses. Il m’arrivait encore souvent de ne pas manger à ma faim, mais la rigolade me faisait oublier tout ça”.

La cité Falguière était un ensemble d’ateliers d’artistes.
Un soir, Kiki et une amie, espérant dormir chez un peintre, attendaient, gelées,
dans l’escalier parce qu’elles avaient entendu qu’il était avec une femme.
Soutine apparu : “Il m’a un peu effrayé avec son aire de sauvage…
Nous avons pénétré dans son atelier où il faisait un tout petit peu moins froid que dehors, mais Soutine a passé sa nuit à brûler tout son atelier pour nous chauffer.”

Ce fut sa première rencontre avec Soutine.
Quand elle sortait avec lui et deux autres amis,
“Nous faisions un beau quatuor ! […] J’étais habillée avec toutes les nippes du quartier : chapeau d’homme, une vieille cape, souliers à trois pointures près.”


En 1918, elle connaît enfin l’amour avec un artiste polonais, Maurice Mendjizky :
“Je suis en ménage avec un peintre. Ça n’est pas la richesse, mais, quelquefois, on mange!”



Maurice Mendjizky a exécuté ce portrait de Kiki en 1919, avant qu’elle se coupe les cheveux.
C’est le plus ancien portrait que l’on ait d’elle.

Elle vécut pendant presque quatre ans avec lui.
En 1921, l’atelier de celui-ci se trouvait 17 rue de Perceval, près de la rue Vercingétorix.


(Les mots en rouges feront l’objet de liens ou d’articles ultérieurs…)
Les textes sont largement inspirés de Billy Klüver & Julie Martin & Kiki de Montparnasse.

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